« Le pays de la liberté et la patrie des courageux », comme chante le peuple dans l’hymne national des États-Unis, a une tradition musicale complexe. Le Nouveau Monde, avec ses vastes étendues sauvages, était un pays d’opportunités, d’innocence et d’émerveillement. Mais il est devenu un pays de grandes villes, de commerce, de bruit, marqué par une histoire faite de contrastes, notamment par la brutalité de la colonisation, de l’esclavage et de la ségrégation raciale. Lors de la colonisation qui débutait au 17e siècle, les pionniers britanniques, français et espagnols – majoritairement les classes moyennes plutôt que les aristocrates ou les riches – apportaient leurs traditions de musique folklorique. La musique des esclaves africains était, quant à elle, souvent sévèrement restreinte, surtout dans les colonies britanniques (un peu moins par les Français dans la région autour de la Nouvelle-Orléans). Faute d’instruments, les esclaves ont développé des formes de percussions corporelles, en utilisant les claquements de mains et le martèlement des pieds, ainsi que par des instruments empruntés ou fabriqués de façon artisanale, comme le « washboard » (planche à laver). L’importation des instruments militaires a également influencé le paysage sonore américain, menant à la création des « school bands » (harmonies scolaires) encore existantes dans les écoles d’aujourd’hui, et a joué un rôle essentiel dans le développement du jazz.
C’est avec le jazz que ce programme commence. La première œuvres est du pianiste George Shearing (1919–2011). Aveugle de naissance, Shearing s’est fait un nom avec des tubes tels que Lullaby of Birdland et September in the Rain. Il décrit la genèse de ses Songs and Sonnets from Shakespeare d’une manière typiquement amusante : « William Shakespeare et moi avons créé une série de pièces pour chœur, piano jazz et basse intitulée Music to hear. […] Nous avions tellement aimé travailler ensemble que nous voulions essayer un nouveau projet. Mr Shakespeare a fouillé dans sa malle et a trouvé sept autres chansons et sonnets que nous n’avions pas encore utilisés. […] Vous y entendrez mon bagage musical anglais et l’influence du jazz américain.» L’œuvre a été créée par Shearing (piano) et Neil Swanson (basse) avec les Mostly Madrigal Singers, qui ont commandé la pièce, dirigés par John Rutter.
Il y a sept mouvements éclectiques : « Vivez avec moi et soyez mon amour » (The Passionate Pilgrim) ; « Quand les jonquilles commencent à se manifester » (The Winter’s Tale) ; « C’était un amant et son amoureuse » (As You Like It) ; « Printemps » (« Quand les pâquerettes » – Love’s Labour’s Lost) ; « Qui est Sylvia ? » (Two Gentlemen of Verona) – ici, la musique rend hommage à la chanson bien connue de Schubert sur le même texte ; « Fi des pensées pécheresses » (The Merry Wives of Windsor) et se termine par l’épilogue ironique à Twelfth Night, prononcé par Feste, « Quand j’étais un tout petit garçon, par le vent, la pluie, hé ! ho ! une folie n’était qu’enfantillage, car il pleut de la pluie tous les jours. »
Samuel Barber (1910-1981) met en musique un poème de James Agee, Sure on this shining night (1938). Le texte est extrait d’un poème assez mystique, Descriptions of Elysium. Agee a été émerveillé en regardant les étoiles dans le télescope de son futur beau-père ; son poème parle de la beauté du monde et des saisons. Barber, un bon baryton lui-même, a créé une pièce richement mélodique ; nous chantons son propre arrangement pour chœur mixte et piano.
Morten Lauridsen (né en 1943) a mis en musique le même texte que Barber, mais nous proposons deux œuvres très différentes. Pour commencer, trois extraits des Chansons des roses (1993) sur des textes en français du poète allemand, Rainer Maria Rilke. Le compositeur dit : « Ces poèmes exquis sont principalement légers, joyeux et ludiques, et la musique est construite pour mettre en valeur ces caractéristiques et pour capter la sensualité de leur beauté délicate. » Elles seront suivies par la célèbre pièce O magnum mysterium (1994), qui a été écrite pour la Los Angeles Master Chorale, dont Lauridsen était le compositeur en résidence pendant six ans. Il y a quelque chose de typiquement américain dans les lignes mélodiques angulaires et de tessiture étendue, qui s’accouplent à des textures chorales denses (le chœur est divisé jusqu’à huit voix) ; les harmonies du début, comportant des frottements doux et des accords de sixtes, particulièrement sonores, mènent à une seule dissonance intense sur le texte « Beata Virgo » (Sainte Vierge).
Les migrations importantes des 18e et 19e siècles et les changements sociaux qui ont suivi la révolution et la guerre civile ont vu développer d’autres types de musiques aux États-Unis. De ses sources dans la musique vocale sacrée et dans les chants de travail, s’est développé le « negro-spiritual » afro-américain, l’expression des peines des esclaves coupés de leurs racines. S’appuyant sur les textes de l’Ancien Testament de la Bible et notamment du Livre de l’Exode, les chanteurs et chanteuses y voyaient l’espoir de l’émancipation de leurs oppresseurs. Deuxième développement musical important, le jazz est né dans le sud du pays à la fin du 19e et a connu une floraison extraordinaire dans les premières décennies du 20e.
Dans ce contexte, on ne peut pas se passer de George Gershwin. Son opéra Porgy and Bess (1935) est le premier opéra conçu exclusivement pour les chanteurs noirs : il traite de la vie des Afro-Américains dans le quartier fictif de Catfish Row à Charleston, en Caroline du Sud. Le grand tube de cet opéra, Summertime, une berceuse qui ouvre l’action, a été repris maintes fois. La chanson ’S wonderful (1927), sur un texte du frère du compositeur, Ira Gershwin, a gagné en popularité de son inclusion dans le film An American in Paris, où elle a été chantée par Gene Kelly. Les Préludes pour piano du compositeur puisent également dans le style du jazz pour créer des miniatures très caractéristiques.
Ce concert termine avec des arrangements de trois spirituals : Deep River, Steal Away et Joshua fought the battle of Jericho.
( © 2025 : David Bray)